lundi 26 novembre 2007

L'exécution de madame du Barry, par Charles-Henri Sanson

MADAME DU BARRY, PAR ELISABETH VIGEE LE BRUN



17 frimaire.

Madame Dubarry a été condamnée hier au soir et exécutée ce matin.
Nous étions, suivant l'ordre, à neuf heures à la maison de justice, mais il a fallu espérer parce que la condamnée était enfermée avec le citoyen Denizot, juge, et le citoyen Royer, substitut de l'accusateur, qui enregistraient des révélations.
A dix heures, les citoyens Vandenyver, qui étaient trois, le père et les deux fils, tous complices de madame Dubarry, et les citoyens Bonnardot et Joseph Bruniot, falsificateurs d'assignats, condamnés par le tribunal criminel, ont été amenés.
Pendant qu'on arrangeait les susdits, madame Dubarry est arrivée dans l'avant-greffe. Elle marchait en s'appuyant contre les murs, car ses jambes fléchissaient sous elle. Il y avait une vingtaine d'années que je ne l'avais vue, et je ne l'aurais pas reconnue ; elle était aussi défigurée par l'embonpoint que par la peine et l'angoisse. Quand elle m'aperçut derrière les condamnés déjà liés, elle jeta un grand Ah ! en se cachant les yeux sous son mouchoir, et elle se mit à genoux en criant Je ne veux pas, je ne veux pas.
Presque aussitôt elle s'est relevée et 'elle a dit Où sont les juges, je n'ai pas tout déclaré, je n'ai pas tout avoué. Les citoyens Denizot et Royer étaient chez Richard, avec deux ou trois députés qui avaient été curieux de voir passer la pauvre femme ; ils arrivèrent presque aussitôt, mais ils refusèrent de rentrer dans le greffe et la sommèrent de parler sur-le-champ. Elle déclara alors quelques objets précieux qui étaient cachés dans sa maison de Lucienne ou confiés a divers particuliers, mais elle s'interrompait à chaque instant pour se lamenter, et, à diverses reprises, elle battit la campagne comme si son esprit eût été égaré par la fièvre.
Le citoyen Royer, qui tenait la plume lui disait alors Est-ce là tout? Et il essayait de lui faire signer le procès-verbal mais elle repoussait le papier, elle assurait qu'elle avait quelque chose à ajouter ; on voyait qu'elle cherchait dans sa mémoire.
Elle croyait peut-être qu'en raison des sommes immenses qu'elle abandonnait à la confiscation on lui accorderait sa grâce, et jamais, dans son heureux temps, elle n'avait si ardemment souhaité les richesses que maintenant qu'elle les sacrifiait pour gagner quelques minutes sur la mort.
Enfin, les citoyens Denizot et Royer se levèrent et lui dirent très durement qu'il fallait se soumettre aux décrets de la justice, et racheter par son courage l'ignominie de sa vie passée.
Elle est demeurée comme anéantie sur sa chaise.
Un aide s'est approché et a cru le moment bon pour lui couper les cheveux, mais au premier coup de ciseaux elle s'est relevée et l'a repoussé il a fallu que deux autres aides l'aidassent à la lier.
Alors elle s'est laissé faire, seulement elle pleurait comme je n'ai jamais vu pleurer.

Il y avait sur le quai autant de monde que pour la sortie de la Reine et des députés girondins. On criait ferme, mais les cris de la victime s'élevaient toujours dessus ceux du peuple. Nous n'avons pas fait cent pas qu'on n'a plus entendu qu'elle. Elle disait Bons citoyens délivrez-moi, je suis innocente. Je suis du peuple comme vous, bons citoyens, ne me laissez pas mourir.
On ne bougeait pas, mais les citoyens et citoyennes baissaient la tête et ne lui jetaient plus d'injures. Jamais je n'avais vu le peuple si allangui. Jacot y perdait son temps et ses grimaces.
Je ne reconnaissais plus les gens de guillotine, et pourtant c'étaient bien les mêmes que j'avais vu si durs pour le citoyen Bailly, si courageux.
Par moments elle s'arrêtait de crier; de violette qu'était sa face on la voyait devenir toute blanche. Elle s'abandonnait aux cahots de la charrette comme étant morte; ils la jetaient de ci, de là; dix fois elle fût tombée si mon fils ne l'eût soutenue.
A des instants elle s'adressait à moi, me disant, Non, n'est-ce pas, que vous ne me ferez pas mourir? Ses dents claquaient et la voix venait de sa gorge, rauque et saccadée. Moi, je me sentais amolli à pleurer comme les autres et plus amèrement qu'aucun, car la vue de cette mal- heureuse femme me rappelait notre jeunesse qui ne nous prédisait guère un tel destin, et son digne père, dont la sollicitude n'avait pu écarter d'elle, ni de si funestes grandeurs, ni une si terrible chute.
Malgré tous mes efforts pour surmonter mon émotion, jamais le trajet ne m'avait autant duré. Une fois je lui conseillai de prier, que cela la reconforterait certainement. Les prières ne lui revinrent plus en mémoire elle disait Mon Dieu mon Dieu mon Dieu sans trouver autre chose. Alors elle recommençait à implorer les citoyens.
L'ordre était qu'elle serait exécutée la dernière, mais quand je suis descendu, le citoyen huissier m'a dit de m'arranger pour le mieux.
Comme en voyant la guillotine elle avait eu une défaillance, je dis de la faire monter de suite ; mais elle ne sentit pas plutôt les mains sur elle qu'elle reprit connaissance, et, quoique liée, elle repoussa les aides en criant Pas tout de suite ; encore un moment, messieurs les bourreaux, encore un moment, je vous en prie.

Ils l'ont entraînée, mais elle se débattit et essaya de les mordre.
Elle était aussi forte que puissante, car, bien qu'ils fussent quatre, ils employèrent plus de trois minutes à la monter. Si elle ne les avait pas échauffés en les bousculant, je ne sais s'ils, en seraient venus à bout, tant ils étaient consternés. Le peuple de même nul ne soufflait mot, et beaucoup se sauvaient de tous côtés comme en déroute. Là-haut cela a recommencé, elle hurlait; on devait l'entendre par delà de la rivière elle était bien effrayante à regarder ; enfin ils sont parvenus à la boucler, et ce fut fait.
Après, on a exécuté les autres.

18 frimaire.

Ce jour nous avons guillotiné Jean-Bapliste Noël, député des Vosges, hors la loi.
Dans la route, il m'a demandé si c'était vrai que madame Dubarry avait eu si grand peur ; et, une autre fois, si on avait bien essuyé le couteau, parce qu'il ne convenait pas que le sang d'un républicain fût souillé par le sang d'une prostituée.

Journal de Charles-Henri Sanson, Sept générations d'exécuteurs. Mémoires des Sanson.


SANSON (?), GRAVURE DU TEMPS

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